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le deuxième blog de Damien Cazé

6 mars 2009

058

La voiture m'a lâché, je l'ai laissée à un des garages de la chaine de location qui me l'a louée; on m'en a proposé une autre à la place et j'ai dit Non, je ferai le reste en stop, en train et à pied. J'ai eu un rab' sur le prix, comme promis en rouge dans le contrat - "Au cas que la voiture défaille, et si c'est pas dû à vous, on vous rend 10%". L'argent cash en poche j'ai pris un bus au hasard devant la gare du village où j'étais. Et au terminus sur quoi je tombe? La mairie de Villeneusy. Moi qui pensais être loin. Triste que ça s'arrête là j'hésite entre, reprendre un bus à l'envers, marcher droit jusque chez moi.
Mon fils et ma femme étaient là dans le salon, leur jambe mal en point, comme s'ils n'avaient pas bougé d'un poil depuis mon départ. C'était ce matin et je ne sais toujours pas ce que je dois faire: rester ici ou pas.

mairie

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5 mars 2009

057

Un peu déçu de constater que depuis que je n'ai pas vérifié mes mails, c'est-à-dire depuis 056, je n'ai reçu que des spams et un message paniqué de ma femme, qui me dit qu'on a glissé sous ma porte un mot écrit à la main, Damien Cazé m'arrête à temps (cf 035).

25 février 2009

056

L'avantage d'écrire caché sous un pseudo, c'est que je peux raconter mes péchés sans rien craindre.
Sûr que je vole à l'étagère depuis le début de mon périple. Vu le prix de l'essence il faut bien. Du pain de mie, des oeufs, un couteau - hier encore des lames à rasoir.
Mais cette nuit j'ai fait pire. Passé minuit, on a frappé à la porte de ma chambre, au dixième étage de l'hôtel le Barril, entre Dijon et Longières. C'était une femme très pulpeuse mais pas jeune, qui m'a avoué m'avoir suivi jusqu'ici depuis le bar. Ca faisait une trotte! Elle a elle-même refermé derrière elle et m'a poussé sur le lit; s'est mise nue, m'a déshabillé et a dit en espagnol n'avoir jamais vu d'homme aussi beau. Je n'ai même pas cherché à résister; je n'ai dormi que deux heures, de 6h à 8h ce matin. Je suis parti discrètement, pendant son sommeil, après avoir vidé son portefeuille. Avec cette petite somme j'ai acheté du whisky, des cigares. Et puis une veste en velours. Pourquoi pas refaire une virée dans ce bar?

24 février 2009

055

Il faut que je raconte ça: dans un village en pierre dont le nom est sorti de ma tête, au beau milieu de ma route vers nulle part et où j'ai voulu m'arrêter un instant pour chercher du pain, il y avait, en plein centre d'un carrefour fantôme, une assez grande caisse en bois, haute d'un peu moins d'un mètre et large de deux sur trois. Le ciel gris allait faire tomber de l'eau, mais un tout petit homme apparu de derrière un arbre est monté sur la caisse, et puis un deuxième, un troisième - tous barbus mais ne dépassant pas le mètre vingt. Le premier avait dans les bras une demi-poire en métal, le long de laquelle étaient tendus comme de longs cheveux roux, aussi longs qu'était longue la demi-poire: soit un bon demi-mètre; le deuxième s'était accroché à la veste tout un assortiment de pots en verre, bleus, transparents, rouges; pailletés; le troisième enfin avait, grâce à un élastique tendu derrière sa tête, enfilé au bout du nez un court tube en plastique noir troué au bout. Ils m'avaient tout l'air d'être des musiciens - et ne tardèrent pas à me donner raison: l'homme à la demi-poire a déroulé une banderole, qu'il a ensuite clouée à la face avant du socle en bois qui leur servait de scène; il y était écrit: monsieur Tassoureau et son Orquess.
Cependant, quelques badauds ont commencé d'approcher - et la pluie de tomber: resté dans ma voiture de location, stationnée à côté d'une laverie, à manger un sandwich au bleu, les premières gouttes coulaient sur mon pare-brise. Quand il y en a eu trop et que je ne voyais plus dehors, je suis sorti pour y voir de plus près.
C'est qu'il y avait foule déjà, et j'entendais dire, ci et là, C'est qui ces nains? Tout le monde était mouillé. Je me suis fait une place entre deux jeunes filles.

L'homme aux pots (le plus petit des trois) s'est agité. Il se secouait de tout son long, et c'était une horrible cacophonie de verres entrechoqués, qui a déclenché les premiers rires. Le plus sérieusement du monde cependant, notre homme tortillait du cul, balançait les bras, levait une jambe. Celui au tube, soufflant du nez, a alors émis comme un affreux sifflement dont il modulait la fréquence en expirant plus ou moins fort - s'arrêtant parfois pour aspirer par la bouche. Les rires ont redoublé. L'adolescente à ma droite en pleurait. Puis, accompagnant les deux premiers, celui qui m'avait l'air d'être Tassoureau a gratté les cheveux de sa poire directement à la main, pour en sortir un son très faible et que, ma foi, je n'avais encore entendu nulle part: à cheval entre l'élastique, et le poil de brosse. Alors, autour de moi, ça s'est mis à siffler et à insulter.
La pluie nous unissait tous à ce triste spectacle, nous y embourbait - et je me demande maintenant ce qui a fait qu'aucune des têtes de brute debout parmi les spectateurs n'est pas montée pour aller se défouler sur monsieur Tassoureau et son Orquess.
Les premiers ont commencé à partir - en courant, l'averse devenait sérieuse. De la centaine de personnes qu'ils avaient réussi à ameuter ne restèrent bientôt plus que quelques dix ou onze courageux - dont deux poivrots qui dansaient et, on aurait dit, appréciaient. Tassoureau et ses musiciens y allaient toujours de bon coeur, trempés jusqu'aux os, les yeux fermés tous les trois. J'avais remarqué, dans cette horreur de bruits sans nom, quelques petites variations, je ne dirais pas rythmiques, je ne dirais pas mélodiques, mais enfin des variations, qui me laissaient croire qu'il allait y avoir autre chose. Et en effet, au bout d'un quart d'heure, Tassoureau s'est mis à chanter.

Quel nom pourrait porter un cri dans lequel on entendrait, à la fois, le brâme d'un cerf, les gémissements d'un chien malade, et une sorte de hoquet? Le pauvre Tassoureau les a tous fait fuir, tous, jusqu'aux derniers, jusqu'aux deux poivrots, partis apeurés. Mais je suis resté.

Un ciel comme celui-là aurait déprimé n'importe qui. J'ai l'âme sensible au climat - autre point commun avec Piponin. Et la couleur grise du ciel à ce moment ne demandait qu'à me la tirer vers le bas. Mais elle tenait bon.
Et là, là, c'était comme si mes oreilles s'étaient d'un coup mises à comprendre: la musique, la voix de monsieur Tassoureau m'ont comme retourné; je me suis mis à trembler,- et puis à pleurer. Rien n'avait jamais été aussi beau que cette musique,- tout m'était clair maintenant,- je n'avais plus peur de la mort!
Je suis resté là une heure, seul, sous l'orage, devant les nains et leurs sons, absolument vide de moi-même et traversé violemment par le Monde. Et, dans un bref éclair de lucidité, j'ai compris ça: Tassoureau, c'était évident, ne chantait pas pour moi. Et il ne chantait pour personne. Alors je suis parti, soulevé par un vent inouï, laissant là l'Orquess, à qui ça ne me servait à rien de dire merci - et quittant le village assailli par les éclairs pour aller me nourrir dans une friterie gigantesque à Chambreton.

20 février 2009

054

J'ai vidé un plein à traverser une longue nationale sans sortie, roulant des heures avec le sentiment que je n'en verrai jamais le bout, et sans croiser même une moto. Finalement alors que ma jauge arrivait dans le rouge un rond point m'offre deux directions: sur la droite Prague - que je connais bien - Talerey sur la gauche. Talerey? Excité par le nom je tourne à gauche. Dix minutes plus loin au milieu de rien une station essence minuscule me permet de m'alimenter en sans plomb; et puis je reroule dix minutes et me voilà enfin à me perdre dans les dédales de Talerey.
La brique y pullule mais on l'utilise bien et sa couleur tire sur le gris. On y parle mal français et à peine mieux portugais. Les boulangeries font des pains énormes et bon marché, mais parfumés à l'anis et avec lesquels j'ai beaucoup de mal à me constituer mes sandwichs au fromage. Les hôtels n'ont qu'un étage et sont souvent pleins, il m'a fallu en visiter six hier avant de tomber sur une chambre libre.
Je suis actuellement dans le plus grand cyber-café de Talerey, Talerey Tech, qui propose des quad core pour un euro les deux heures. Mais bizarrement on n'y joue pas: autour de moi Facebook est à l'honneur. Un jeune homme vient de s'écrier "Un canon m'a poké!", un autre imprime un article sur Boileau qu'il a trouvé via le site; une jeune femme est en train de s'ouvrir un compte en souriant, une autre s'en désinscrit pour deux semaines; une autre enfin décide de partir rejoindre un ex perdu de vue mais maintenant à Séoul.

Le ciel est bas à Talerey. Le parfum de l'air y est d'anis à cause du pain. Les femmes ont les jambes longues mais l'arrière du crâne droit comme une falaise; les hommes sont tout petits! Je ne crois pas que j'y resterai très longtemps.

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18 février 2009

053

J'avais besoin de souffler. J'ai demandé à mon fils et à ma femme s'ils pouvaient se démerder sans moi. Ils ont dit oui, c'était un petit oui mais j'ai fait comme si ça venait du coeur et lundi j'ai quitté Villeneusy pour plusieurs jours. Là, je suis dans un cybercafé pris entre deux boutiques de vêtements pour dames (dans une rue qui n'en compte pas moins de neuf) juste en face de l'église du hameau de Trerne. Je circule en voiture louée, je mange des sandwichs au fromage et je bois de l'eau en bouteille. Je dors dans de petits hôtels que je croise sur la route. Celui d'hier n'avait pas de douche, et si celui d'aujourd'hui non plus, demain matin il me faudra trouver une piscine. Pas de destination particulière, je tourne à droite, à gauche si ça me chante, ou je vais tout droit si la route me plaît. Il m'a semblé apercevoir Christophe Braccioli bêcher dans un champ, une femme m'a montré ses jambes dans un bar, et je discute à peine avec les commerçants à qui j'achète à manger - question aventure humaine, ça s'arrête là. Et ça me fait beaucoup de bien: rester coincé toute la journée entre femme et fils à ne plus quoi savoir leur dire finissait par être étouffant.
Ce petit périple risque de me coûter cher en essence, mais j'ai des sous de côté.

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15 février 2009

052

Les trois quarts des profs du lycée à Pipo font grève. Monsieur Okama fait partie de ceux qui s'y refusent, mais il autorise ses élèves à ne pas venir en cours si ça leur chante.

(J'ai demandé à mon fils de me montrer ses cartes géo, c'est effectivement très étonnant cette manie qu'il a de colorier entièrement les mers et les océans en bleu - bleu qu'il va jusqu'à dégrader sur un centimètre autour des côtes, d'un bleu très clair au bord des terres à un bleu presque noir, là où il juge que le fond est si loin qu'il me paraît du domaine de l'imaginaire - et ça donne une drôle de touche à ses dessins, qui font l'effet d'onduler.)

Piponin n'avait qu'un cours de géo aujourd'hui, mais il a profité de l'accord du prof pour ne pas s'y rendre - et Clém' préférant rester devant ses feuilletons à la con, on a pris le train à deux jusqu'à la plage.

Là-bas se passent les choses suivantes:

Le vent est doux, la lumière d'un soleil tout flou inonde l'eau et le sable, on est quasiment seuls, et on ne parle pas. Devant nous une grosse femme seins nus - le temps s'y prête - fait des sudokus sur une serviette de plage Wall-E. Piponin dans le plus grand silence me désigne au loin le cabanon des toilettes, qu'il rejoint ensuite sur ses béquilles sans toujours rien dire. La grosse femme à ce moment se lève, s'entoure la serviette autour des épaules et sous le soleil blanc elle rejoint le bord de mer, à trente mètres de là. Je ne fais d'abord attention qu'à elle: des talons elle creuse dans le sable de longues tranchées qui amènent de l'eau jusqu'à bien quinze mètres en arrière; elle construit alors plusieurs petits lacs alimentés chacun par un de ces longs tunnels faits aux pieds. Et puis mon regard se tourne et j'aperçois ça: derrière la grosse dame, quand elle était assise, il y avait ce petit garçon qui me fixait. Et ce petit garçon, si l'on veut bien me croire, est le portrait craché de mon fils, si mon fils avait eu cet âge au lieu d'avoir quinze ans. J'ai juste le temps de prendre une photo - quand la grosse dame abandonne ses lacs, revient vers lui, rassemble ses affaires, et l'emmène sur son dos jusque derrière les dunes, où je ne les vois plus.
Quinze minutes plus tard Piponin reparaît et m'explique qu'il y avait du monde chez les hommes. Ca m'étonne: Mais il n'y a pas un chat! - Ici non mais là-bas c'est plein de gens. Puis il s'assied et ajoute: J'ai vu dans la file d'attente un vieillard sur des béquilles qui me ressemblait trait pour trait. Et j'ai eu peur, papa.
"Papa"!
L'eau monte, on n'échange plus une parole, et c'est quand elle a englouti jusqu'au dernier des petits lacs qu'on se décide à quitter la plage et à rejoindre l'appartement.

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10 février 2009

051

Les factures payées et le loyer, il ne reste plus grand chose pour les sorties. On s'en fait des pas chères: la forêt, le lac, la montagne; la plage en ce moment malgré le froid. De tous c'est bien elle que je préfère - et c'est un des rares points que j'ai en commun avec mon fils. Vu sa jambe, on s'y traîne plus qu'autre chose, une feuille de la plante du salon dans sa poche, mais dès qu'il aura ses deux pieds, il veut qu'on y fasse du foot ensemble. Ma foi.
De l'océan, j'aime ce que tout le monde aime: la surface mi-opaque d'une étendue sans contour fixe ni visible qui remue constamment, et le bruit des vagues, monotone et à peine régulier. Mais mon fiston a l'air d'en aimer autre chose; il me dit que oui, que c'est beau, ce que tu dis, mais c'est pas vraiment ça, et il prend l'air songeur en regardant l'horizon. Le vent fait voler ses cheveux, une mouette passe et il ajoute: de la plage tu ne vois que l'eau - et tu en oublies le sable.

6 février 2009

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Le cinquantième! On est tellement contents. J'ai fait faire des t-shirts pour tout le monde - ma famille, mes voisins - et il n'y en a pas assez! Ils sont tous derrière moi à brailler fifty! en anglais et à lever des bières en l'air. Piponin, euphorique, répète en hurlant les chansons vulgaires du père Vasseur, et par la fenêtre exhibe son t-shirt avec un 50 dessus, aux passants dehors et leur crie, C'est mon père qui l'a fait! pour les cinquante de son blog! montez donc boire un verre! et on est bientôt soixante entassés chez nous, dont la moitié que je ne connais pas. Ca danse, ça parle, ça mange et ça boit! Il y a là Stéphane de Jarne, qui m'a fait le plaisir de venir avec un énorme gâteau, avec un cinq mais sans zéro, et quelques jus de fruit de son pays; Marc Cleiller, d'Antibes, mon cousin Pierrick Cazé, de Louvernier, Céline Castillard, Romain Lourniot et Michelle d'Arsan, de la Croix-en-Lain, le couple Duvizie et leurs enfants, de Nantes, certains de mes anciens camarades de l'école primaire Louis Blériot, Mounia, Mickaël, Rachida, Ludovic; madame Dos Santos, monsieur Loussiac; le fils Marion de Mantes-la-Jolie... et tous hurlent fifty! fifty!

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5 février 2009

049

Un bout de fil à pêche long de trois mètres et relié, une extrémité à la jambe plâtrée de mon fils, l'autre à celle de ma femme servait de point de départ à l'ensemble. Clémence acrobate, rien de plus facile que de lui faire faire un poirier - pour Piponin, le placer debout, les jambes serrées, les mains en l'air écartées, les paumes vers le haut, près d'un zamioculcas,- que j'ai subitement retiré pour que Pipo gèle,- et le retourner sur la tête pour en faire un trépied tout dur; et voilà le fil tendu entre les deux plâtres à plus de deux mètres de haut. Au milieu de ce fil tendu a été nouée une corde bleue très épaisse et un peu sale, retrouvée près d'un bateau en cale sèche sur le port de Marseille. D'abord pendante, je l'ai ensuite tirée à moi le plus possible - jusqu'à ce que Pipo vacille et manque de tomber, Clémence elle assez vive pour supporter la tension,- et nous formions un triangle, dont le centre était le noeud formé par le fil à pêche et la corde à bateau. Ensuite Maurice Blanchôt appelé pour l'occasion, à ce noeud est venu accrocher d'une main tremblante un vieux lampadaire Ikéa, dont la peinture avait en partie disparu laissant à nu le métal dont il était fait,- mais fonctionnant encore: branché à une sorte de petit groupe électrogène bricolé par Maurice lui-même, et actionné par lui grâce à un système étrange, consistant à la fois à souffler dans un cornet de papier et à balancer de haut en bas un poids fixé à un ressort, à la force des pieds, sa lumière très vive au centre du triangle était du plus bel effet.
Me trouvant ainsi dans la position la plus confortable des trois - hors Piponin, trop inconscient pour qu'on puisse dire qu'il en chiait - j'ai ajouté un peu de difficulté en nouant mon bout de corde, fort tendue, à ma ceinture, et en faisant tourner rapidement au bout de chaque index, un oreiller, comme je faisais au collège. Une fois ce bordel mis en place il s'agissait qu'aucune des parties du tout ne cède - Pipo tombe à la ramasse, tiré par le fil, ou Clém', de fatigue,- mon pantalon lâche, Blanchôt meurt épuisé, l'ampoule grille, le noeud se défait... Piponin comme une porcelaine sur une commode branlante - Clém' la tête en bas, écarlate et en sueur - Maurice hors d'haleine le coeur à toute vitesse - mes bras pleins de crampes mais toujours à tournoyer - et on a tenu trois heures! Et c'est l'ampoule qui nous a lâchés!

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4 février 2009

048

J'ai racheté deux zamioculcas, les ai disposés l'un à la même place qu'avant, le deuxième à l'autre bout de l'appart', et mon Pipo est reparti comme en 40.
Lundi c'était la réunion parents-profs au lycée Camus; on n'y a rien appris que ce qu'on savait déjà: notre fils est bon élève, mais, même s'il lui arrive de cartonner ici ou là, ne se démarque vraiment dans aucune matière - sinon en géo, c'est monsieur Okama, le prof, de Pointe-à-Pitre, à Villeneusy depuis peu, qui nous l'a dit en nous montrant ses notes. Pipo ne s'en est jamais vanté, mais il enchaîne les 19 - et je ne lui mets pas vingt parce qu'il a la fâcheuse tendance à colorier entièrement toutes les mers.
J'ai par contre pu m'apercevoir de ceci, que je ne savais pas, pour n'y avoir jamais mis les pieds: le lycée Camus regorge de zamioculcas, au bout de chaque couloir, et aux quatre coins de la cour. Voilà pourquoi Piponin ne s'y gelait pas!
Clém' oublie peu à peu les peintures de Michel Corniot, mais elle garde encore un fond noir en elle: i va quand même pas passer sa vie la tête sous une plante? (en revenant du lycée). On verra plus tard; pour le moment, on vivra comme ça.

30 janvier 2009

047

Quel choc! Quel choc depuis hier soir! Mais je me dois d'abord de résumer les évènements de jusqu'ici, en omettant l'inutile, pour les nombreux lecteurs de passage qui ne lisent que les derniers posts, et aussi pour moi, qui ai fort besoin d'y voir plus clair.
Je suis marié à une trapéziste de renom qui met au monde notre tout premier enfant il y a un peu plus d'un an. On l'appelle Piponin, décision prise en nageant elle et moi côte à côte. En milieu d'année dernière, il commence d'avoir des crises d'immobilisme qu'on arrive à calmer en lui passant du Bach, et puis plus rien n'y fait et un beau jour il meurt. Sur les conseils de divers docteurs on le garde quand même au cas où et je le traîne avec moi ou je le pose sous une plante dans le salon, jusqu'à ce que je sois à mon tour pris d'une sorte de grave crise de la vue. Au sortir de cette maladie qui dure quelques semaines je découvre que mon fils a 15 ans! Un bon garçon doué en tout même si pas loquace. Il y a peu il se casse une jambe en faisant le con au ski,- et je remarque qu'il a tendance depuis qu'il porte un plâtre à se fourrer constamment la tête dans la plante du salon. Ca fait dire à sa mère, sombre depuis quelques jours à cause d'une sale expo de peinture, qu'il est comme un animal qui sent sa mort prochaine - ce à quoi je rétorque On verra bien quand j'aurai retiré le zamioculcas.
Depuis hier donc plus de zamioculcas, et qu'est-ce qui se passe? Piponin revient du lycée, nous salue vite fait, allume sa Wii et commence de s'étendre comme à son habitude pour aller nicher sa tête dans le feuillage, mais ne s'aperçoit de rien et commence à jouer. Au bout de cinq minutes qu'on l'épie avec ma femme, ses mains d'abord s'immobilisent, puis ses yeux se fixent soudain dans le vide, et enfin c'est tout son corps qui se glace!

29 janvier 2009

046

On se souvient qu'en 019 j'avais décidé de placer mon fils raide mort sous une plante, à l'abri de la chaleur et de trop de lumière. On pourra croire mon histoire des plâtres et des jambes cassées inventée de toutes pièces pour me permettre de faire un parallèle avec mes conneries d'avant, mais non, mon fils et ma femme ont réellement des béquilles, et, est-ce d'être en partie immobilisé ou pas, quand Piponin joue à sa Wii il a ce truc d'y jouer assis par terre, la jambe tendue et la tête dans les feuilles de cette fameuse plante! J'en ai touché mot à ma femme après avoir pris le temps de vérifier que c'était bien une manie répétée qu'il avait là, et avec ce regard sombre qu'elle garde depuis l'expo à Michel elle me dit, le plus froidement du monde, Mais chéri, mais ton fils est un zombie, réveille-toi un peu. Que voulait-elle dire par-là? Que mon fiston de 15 ans est un mort-vivant parce que son corps un peu raidi à cause de la jambe malade recherche inconsciemment les recoins humides et frais de la triste période où il était mort? Ca n'a pas de sens, et je vais dès ce soir retirer le zamioculcas du salon pour prouver à Clém' que Piponin n'est que vie.

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24 janvier 2009

045

Rien à dire. Très, très mauvaise journée. La peinture à Michel Corniot c'est de la merde. Il s'essaie à tout, animalier, portrait de pied, nature morte, abstrait, il y avait tout et n'importe quoi, et lui au milieu qui se pavanait entre le maire de Saint-Liare et sa femme Claude (la galeriste). Piponin s'est endormi sur une chaise, sa jambe plâtrée fort tendue en avant qui gênait le passage entre les deux salles. Plus Clémence voyait de tableaux plus son visage tombait, plus ses yeux étaient tristes. Michel m'a à peine adressé un sourire. On a quitté la galerie discrètement pour aller manger des frites à la Poilade rue Danzemmes. J'ai invité ma femme et mon fils qui n'avaient pas un rond sur eux. Clém' toute sombre a dit C'était de la merde hein? et Piponin a ri.

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23 janvier 2009

044

Qu'on veuille bien se mettre à ma place cinq minutes et s'imaginer le trouble qui m'empâte la tête depuis ce matin. Il se trouve que la nuit dernière Clém' a hurlé de plaisir assez fort et assez longtemps, à plusieurs reprises. Et aujourd'hui notre Piponin dont la chambre est pourtant séparée de la nôtre par tout un tas d'autres pièces, arrivé dernier dans la cuisine, sur ses béquilles, pour le petit-déjeuner, a profité que sa mère avait le dos tourné à préparer le café sur une jambe pour d'un seul élan me faire une tape sur l'épaule, un clin d'oeil, et un sourire qui en disait long, puis finalement s'asseoir à table et parler école comme si de rien n'était avant que sa mère ne se retourne et ne comprenne.
J'ai parlé plus haut de la grande estime qu'il donne l'impression d'avoir pour moi, malgré le tutoiement et le fait qu'il m'appelle par mon prénom. Sa mère a droit aux mêmes égards, à ceci près qu'il l'appelle m'an, détail significatif qui me fait parfois douter de ce respect pour son père que je sens chez lui. Après l'incident de ce matin autant dire que tout ça s'est effondré d'un coup; de le voir avec autant d'assurance enchaîner à son clin d'oeil ses histoires de prof de bio m'a même un instant retourné, j'ai senti ma main prête à se lever et à aller lui en coller une - arrêtée à temps par ce sourire si puissant qu'il a depuis bébé, mélange de candeur et de fermeté dont je parle aussi plus haut et devant lequel toute ma colère ne pouvait que retomber.

22 janvier 2009

043

Michel Corniot m'a appelé! C'est une surprise sans nom non seulement pour moi mais pour tous ceux de mon entourage qui le connaissent. Même Piponin qui n'est plongé dans le monde des grands que depuis quelques semaines et n'est pas censé avoir entendu parler de lui n'en revient pas de ce coup de fil. Clémence, comme il m'arrivera désormais d'appeler ma femme, croit se souvenir que son dernier appel remonte à juin y'a dix ans. Aucune brouille entre nous, juste le travail du temps, celui qui désagrège même les relations entre des amis comme nous. Qu'on sache donc qu'il a divorcé de Ronna et qu'il continue la peinture. La galerie la Marnerie à Saint-Liare accueillera une exposition de ses tableaux dès samedi - jour du vernissage, où je dois me rendre vers 16h avec mes deux gogols. Je joins à cette petite histoire rédigée au café avant d'être tapée ici, une photo retrouvée dans un dossier Michel Corniot de mon ordinateur sur laquelle on voit juste mon bras aller lui mettre un chapeau sur la tête, dans des conditions que j'ai malheureusement complètement oubliées et dont l'image ne m'aide en rien à me souvenir.

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22 janvier 2009

042

Fils et femme rentrés au bercail, chacun une jambe dans le plâtre. Piponin après quatre jours de chasse-neige a tenté de dévaler une piste rouge avec un groupe de garçons pas plus doués dont un qui a failli y passer; à 300 bornes de là Clémentine ratait une barre qu'elle était censée rattraper à plusieurs mètres de haut sans filet, et m'affirme que c'est la faute au Bulgare avec qui elle s'entraînait depuis plusieurs jours. Il me l'a envoyée trop tôt. J'ai jamais vu un con pareil. Clém' a deux mois d'arrêt, Pipo un de plâtre mais ne se voit pas rester ici à rien foutre et compte donc retourner en cours sur ses béquilles dès lundi prochain. Pour l'instant ils sont tous les deux le cul dans un fauteuil.
C'est donc en allant moi-même ce matin vider la boîte aux lettres que j'ai vu que le locataire du 301, l'appartement juste en face du nôtre, s'appelait Maurice Blanchôt. Blanchôt je savais mais pas Maurice. Je le vois parfois, c'est un petit homme très, très, très vieux, peut-être plus vieux que madame Runiaga, très pâle aussi (Clém' l'appelle Palôt), et qui marche extrêmement vite, à petits pas, quand il revient du pain, entre l'ascenceur et sa porte 301. Avez-vous donc peur monsieur Blanchôt?, je lui ai demandé un jour. Mais pas du tout monsieur Cazé, il a répondu, C'est que l'ascenceur me donne chaque fois envie de chier. Et puis il a éclaté d'un rire débile, un rire d'ailleurs, un rire d'autour de lui, avant d'entrer dans sa tannière et d'aller peut-être - qui sait - d'aller chier pour de bon.

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20 janvier 2009

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Milieu de la nuit. Viens de rêver que je vivais sur une île sans assurance sociale et entretenu par des dizaines femmes brunes. Le moindre de mes slips me venait d'elles et de leur portefeuille, je les remerciais juste d'un sourire et d'un regard, et On est quittes, comme je leur apprenais à dire dans ma langue. N'y avais pour seule lecture qu'un vieux roman fantastique, Qu'est-ce que jfrais pas pour un patalon, dont l'auteure, entrée dans le corps d'une ennemie d'adolescence, rêve tout au long d'étouffer sa mère sans jamais vraiment s'y mettre. Réveillé alors que je m'y étais plongé, dans une grotte de l'île, par un bruit sourd d'explosion: on s'entretuait en bas de chez moi à coups de grosses armes à feu. Ai hurlé Y'en a qui dorment, les deux bandes se sont enfuies en criant Désolés, dormez-bien. Ai profondément sommeil, retourne me coucher dès maintenant.

19 janvier 2009

040

Il existe dans la famille de Clém' - ma femme - une rumeur qui dit que mamie Nicole aurait eu des amants. Plus personne pour vérifier, on se contente donc à table d'évoquer des noms et c'est souvent Georges Tesloux et Pascal Clair qui reviennent dans les bouches. Le premier parce que Nicole ne pouvait pas ne pas céder devant ses bonnes manières et sa voix grave, le second parce qu'on connaissait trop son goût (à mamie) pour les types méditerranéens et les amateurs de vin et que le père Clair justement venait de Nice et avait une cave remplie de grands crus. Je suis toujours frappé quand je mange avec la famille de Clém' par les airs convaincus qu'ils prennent tous dès qu'ils se mettent à conjecturer là-dessus. Je n'ai pas connu Nicole, disparue avant que je ne rencontre Clém' au club la Trocca, disparue même peut-être avant que la Trocca ne soit, mais j'ai tout le temps des frissons qui me tiennent à l'écart de ces discussions que je regarde toujours comme un affreux spectacle (auquel mon épouse prend gaiement part et c'est bien ce qui me blesse le plus) et je suis intimement convaincu de mon côté que la pauvre Nicole n'en a aimé aucun des deux, de Georges ou Pascal, et que d'amants elle n'en a probablement jamais eu que de vagues désirs, si j'en crois en tout cas le peu de sympathie que m'inspire son mari, papy Gouillou, sur les vieilles photos d'eux que Clém' garde dans ses albums.
Pour en revenir à moi, qui est-ce qu'on me prêtera comme maîtresses après ma mort pendant les repas de famille? J'entends d'ici les noms d'Armelle Daissu et d'Anne-Marie Stalle, plus loin d'Anne Sergier et un peu plus loin encore de Sophie D'Herne de Monge, ça me fait bien rire; et l'idée qu'on omettra sûrement le nom de celle qui pourtant aurait plus crédiblement sa place ici me réjouit beaucoup, pour des raisons qu'on peut comprendre et qui sont sans doute liées à mes froids dans le dos devant les ragotages sur la vie sentimentale de Nicole.

eltern

16 janvier 2009

039

Un biscuit au chocolat à peine entamé retrouvé ce matin sous la chaise du bureau m'a rappelé un fort beau souvenir d'avant ma vie de famille, de l'époque de mes premières bouffées de joie sans raison. Ce n'est pas le biscuit en lui-même qui m'a ravivé la mémoire mais la forme que la dentition de Pipo - il n'y a que lui ici qui mange ces trucs de chez Lidl, qu'il trempe souvent dans du lait - lui avait donnée: celle exacte d'une gargouille très abîmée de la cathédrale Saint-Claude, à Marvignan, contre le mur de laquelle Claire Dagliani fille de huissier et de cinq ans mon aînée m'avait plaqué et embrassé en me soufflant à l'oreille qu'elle en avait envie depuis longtemps - depuis que je te vois passer devant le bureau de mon père avec ton cartable et tes mains sales.
C'est dans mon dos la rugosité des pierres mais contre moi le corps mou de la fille Dagliani, dans mon visage ses cheveux qui sentaient chaud dans le doux vent de printemps, dans mon nez le parfum de sa peau et dans mes yeux la lumière ocre de cette fin de journée-là qui me sont réapparus d'un coup, en bloc, derrière les simples traces de dents de mon fils dans le cookie.

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